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Russell est un des fondateurs de la logique contemporaine et de l'atomisme logique. Il prolonge les travaux de G. Cantor, créateur de la théorie des ensembles. Il énonce, en 1902, le paradoxe des ensembles, en réponse aux recherches de G. Frege sur les fondements de l'arithmétique.

 

Il écrit Principia Mathematica en collaboration avec A.N. Whitehead et poursuit une oeuvre de rationaliste en quête d'une science philosophique. Toutefois, sa théorie est paradoxale et elle pose quelques difficultés conceptuelles 

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L'équivocité cachée du paradoxe des ensembles

EXPOSE

Le paradoxe de B. Russell indique une contradiction lorsque la manipulation des concepts d'Ensemble, d'Eléments, de Propriété et de Contenance-Appartenance produit cette fameuse formulation : l'ensemble des ensembles qui ne se contiennent pas eux-mêmes. S'ensuit que l'ensemble des ensembles - ceux-ci étant alors des éléments - qui ne se contiennent pas eux-mêmes est indécidable. Par développement, soit cet ensemble se contient lui-même, soit il ne se contient pas. Dans le premier cas, il est alors contradictoire avec les éléments qu'il contient. Dans le second cas, il n'est pas élément de lui-même et devrait toutefois à ce titre être un élément de lui-même. Cette confusion tient à la compréhension des concepts.

 

En effet, E. Zermelo propose dès 1908 de limiter l'extension de la compréhension des définitions de ces concepts premiers par une restriction de leur signification. Cette restriction du principe de compréhension nécessite alors d'introduire des axiomes complémentaires : la paire, l'extensionnalité, la réunion, l'ensemble des parties. Quoique la contradiction advienne au terme d'un exposé chez B. Russell, qui semble dériver des raisonnements à partir de ces quatres concepts fondateurs, la règle de cohérence de ces raisonnements voudrait que le paradoxe soit présent dans les axiomes, or, elle est d'abord dans les concepts qui les précèdent dans une pensée intuitive qu'il s'agit d'élucider : les références non-spécifiées de la pensée de B. Russell où l'équivocité cachée des fondements de l'atomisme logique.

 

Ainsi, l'examen du paradoxe est à réaliser sous deux angles. Un premier applique l'analyse sémantique de ces objets intuitifs, c'est-à-dire les quatre premiers concepts de la théorie : ensemble, éléments, propriété et contenance-appartenance. Le second étudie le procédé de symbolisation dans la formulation des axiomes où perdurent cette pensée intuitive.

 

EXAMEN

1. L'analyse sémantique commence par l'exigence de comprendre le sens de chacun des concepts dont il est fait usage dans la théorie des ensembles. Les termes sont ainsi qualifiés :

- Ensemble signifie collection d'éléments ayant une même propriété

- Eléments signifie objets membres d'un ensemble

- Propriété signifie qui est le propre de

- Contenance-Appartenance signifie être membre de

 

Avec de telles définitions, aucun objet logique n'échappe à la confusion sémantique qui résulte de la stricte application de ces définitions. Montrons-le. Cette extension de la compréhension des définitions induit bien qu'un même objet peut être à la fois un ensemble et un élément, et même une propriété qui manifeste alors un prédicat d'auto-appartenance. Cette contradiction tient à l'équivocité des définitions. En effet, l'ensemble est conjointement pensé comme un ensemble mais aussi comme un élément et les éléments de cet ensemble sont à la fois cela mais aussi des ensembles. Tout objet peut être présenté alternativement dans un exposé comme ensemble, élément d'un ensemble d'ensemble, puis in fine simultanément. En fait, rien ne distingue l'un de l'autre.

 

En fait, la théorie des ensembles se construit à partir d'une perception intuitive ou naïve de ses objets. Elle ne résiste pas à l'exigence d'une définition qui les déterminerait sans confusion. Et la confusion est double. Non seulement, éléments et ensembles sont substituables, mais la seule et unique propriété assignable à des éléments et des ensembles est d'être l'un ou l'autre; puisque la théorie manipule ces seuls quatre concepts. Elle ne saurait s'inspirer ou s'illustrer d'une perception fondée sur l'expérience de collections concrètes dont les propriétés seraient des attributs relevant d'un langage ordinaire comme l'imagine souvent le lecteur. Cette seconde confusion, plus subtile encore que la première, atteste que la propriété d'un ensemble ou d'un élément ne peut être que d'être l'un ou l'autre dans les contraintes formelles des premiers concepts ainsi formulés. Le paradoxe traduit alors la circularité et l'auto-référence d'un langage formel constitué de quatre concepts qui se confondent les uns dans les autres, parce que l'exposition dans le temps conduit à la présentation de leur équivocité dans la temporalité de cette formulation, alors inéluctablement aporétique.

 

Toute l'incohérence tient à cette coexistence d'une prétendue abstraction des concepts et d'un usage toujours naïf, où les figures de raisonnement traduisent toujours une pensée intuitive, résultat de l'expérience commune. Tout particulièrement, elle affirme l'hypothèse de l'altérité des objets, soit cette distinction à laquelle adhère B. Russell, puisque l'atomisme logique est un principe, pour lui évident, selon lequel il existe des résidus ultimes dans l'analyse; soit ces atomes logiques.

 

Or, cette première analyse manifeste que ceux-ci sont équivoques du fait de l'indétermination, voire de la limite de leur définition dans une logique qui prétendrait en manifester la totale consistance et en éliminer la part d'intuition cachée qui les rend incomplets et nécessairement paradoxaux.

 

2. L'étude du procède de symbolisation dévoile cette pensée intuitive. L'axiome d'extensionnalité en est caractéristique puisqu'il préjuge, sans jamais le démontrer, qu'il n'existe pas deux ensembles distincts qui ont les mêmes éléments conformément au principe d'identité des indiscernables. Aucun de ces concepts initiaux de la théorie des ensembles ne serait pensable sans l'intuition de B. Russell pour qui les atomes logiques sont des évidences premières. Comment peut-il soutenir qu'il existe plusieurs ensembles ou plusieurs éléments ? En vertu de quelle propriété le peut-il, si propriété signifie "le propre de" soit la propriété d'un ensemble qui est de l'être et d'un élément de l'être ? Ces premiers concepts n'ont aucune consistance, en dehors d'une évidence naïve qui résulte de l'expérience, à partir de laquelle s'opère une démarche abstractive. Rien ne légitime qu'il existe des objets distincts ? Aucun argument ne permet d'induire l'appartenance d'un objet à un autre objet, pour autant que deux puissent être posés l'un à côté de l'autre. Comment émerge ce cheminement qui fait advenir successivement les objets, leurs propriétés, des collections puis des ensembles qui se rassemblent. Ces opérations se fondent-elles en dehors d'une expérience, soit d'une pratique naïve, en croyant s'abstraire de cette origine ?

 

Cette part de pensée intuitive résiste au titre de l'évidence, celle-ci cachant, masquant même, la part d'intuition qui perdure dans le langage formel des ensembles. L'affirmation de l'existence d'une pluralité d'objets élémentaires suppose que puisse s'exécuter une distinction entre des objets sous un certain rapport, alors que sous un second, simultanément, ils se confondent et appartiennent à un ensemble. Tout objet est tantôt une unité et une somme d'unités à la manière des monades leibniziennes (1), objet logique dont l'unité tient à quelques dimensions d'expérience : le temps et l'espace qui les séparent. En dehors de ces dimensions, comment soutenir l'atomisme logique d'entités semblables qui ne sauraient se distinguer sans recourir à une dimensions intuitive de la pensée portée par l'usage de l'expérience.

 

La référence non-spécifiée de la théorie des ensembles est cette part intuitive à laquelle ses théoriciens pensent échapper au titre de l'évidence. Elle n'en est pas moins à l'origine de la possibilité d'exposer les premiers concepts. B. Russell tente de maintenir ces unités logiques qui ne seraient pas l'unité unique, sans pour autant être des objets indénombrables du fait de leur différence radicale qui interdirait de les mettre en relation; alors que le langage installe cet entre-deux monde où les choses s'évoquent tantôt pour elles-mêmes, tantôt pour leur appartenance à une catégorie du fait d'attribut. La théorie des ensembles reproduit alors inexorablement cette démarche et elle ne se libère en rien de cette part intuitive des langages ordinaires.

 

ENSEIGNEMENTS

La théorie des ensembles ne peut se départir de cette figure de pensée composite qu'il convient de nommer : l'altérité dialectique de la logique formelle. Elle compose nécessairement deux points de vue, soit deux positions ou figures de pensée qui opèrent simultanément afin d'engendrer ce raisonnement symbolique; dont par exemple l'énumération constitutive de la série numérique.

 

En effet, l'axiome d'extensionnalité est aporétique en ceci qu'il ne s'applique qu'aux ensembles sans s'appliquer aux éléments, alors que les éléments et les ensembles ne se distinguent pas radicalement comme il a été vu. Cet axiome pose que deux ensembles distincts qui ont les mêmes éléments ne font qu'un. Le raisonnement reproduit la figure même de l'identité des indiscernables où l'hypothèse de deux unités distinctes mais semblables en toute chose entraîne leur identité. Or, l'atomisme logique oublie d'appliquer aux éléments, objets ou variables que sont les "x" cette même figure de raisonnement. En effet, avec les quatre premiers concepts, aucun ensemble ne peut excéder un élément puisque la seule propriété d'un élément est d'être membre de l'ensemble. Cette stricte définition interdit la pluralité des "x", puisqu'ils sont identiques dans leur définition en tout point. Cette pluralité des variables "x" est une transposition naïve des habitudes de pensée qui proviennent de la pratique de l'arithmétique. Seulement, l'élément ne saurait se distinguer d'un autre au regard de ces seuls quatre concepts et l'altérité dialectique apparait comme cette figure intuitive de pensée, jamais formalisée qui installe la contradiction dès les premiers termes.

 

Plus encore, la pratique mathématique agit à la façon d'une référence qui résulte de l'expérience de cette pluralité de la série numérique. Et cette pluralité n'est pas le résultat de la cohérence et de la consistance des raisonnements, mais seulement d'un procédé de symbolisation; soit cette démarche abstractive qui manipule des signes comme d'autres manipulent des objets du quotidien. En cela, la pratique logique et mathématique ne se distingue pas d'une pratique ordinaire où la distinction des objets relève d'une perception, où la remémoration, les combinaisons de signes et les exercices de raisonnement poursuivent des buts dans un horizon de temps et de finalité. La pratique logico-mathématique est alors une pensée orientée dans ses expositions temporelles et la perspective d'une récapitulation a posteriori de l'expérience des séquences successives d'un raisonnement. La pensée symbolique a son historicité parce qu'elle manifeste une conscience et une perception à l'œuvre dans des exercices d'énumération, de mémorisation et d'orientations vers des buts.

 

C'est pourquoi, cette naïveté pose la pluralité des éléments constitutifs de la diversité des ensembles, dès lors que le champ d'application de cette théorie n'est autre que ce sous-jacent de l'arithmétique. L'altérité dialectique résulte de cet entre-deux, puisqu'aucun raisonnement ne peut fonder la pluralité sans recourir à une perception, selon l'expression leibnizienne (1) qui compose les deux points de vue de l'exposition mémorisable de la collection et de sa récapitulation en une sommation, soit cet objet second, distinct du précédent mouvement qui l'origine. Ces deux mouvements caractérisent toute opération logique puisqu'elle en est le fondement intuitif.  La sommation somme de cesser l'énumération pour qu'advienne le symbole de la récapitulation, soit cette figure paradoxale constitutive de la pluralité.

 

Pour conclure, l'équivocité cachée du raisonnement de B. Russell tient au fait que l'objet est simultanément pris pour ce qu'il est dans une première perception de sa singularité, puis pris en ce qu'il appartient à un ensemble, autre que lui-même, par l'identité de propriété qui le confond alors avec d'autres. Il appartient alors à autre chose que lui-même au titre simultanée du souvenir de cette singularité qui vaut propriété commune permettant la sommation.

 

Ainsi, les mathématiques et la logique - dont la théorie des ensembles - mélangent le jugement historique inducteur de l'accumulation dans une pratique de la pensée inscrite dans un déroulement temporel immanent au raisonnement et le jugement ontologique inducteur de la perception de l'altérité d'objets tout à la fois identiques, indiscernables et néanmoins dénombrables. Ni B. Russell, ni E. Zermelo ne vont au-delà des enseignements leibniziens, et ils reproduisent le raisonnement paradoxal de l'identité des indiscernables par usage d'une perception de la pluralité qui demeure l'entre-deux de la technique mathématique. C'est là le propre d'une pensée inachevée dans la formulation de ces premiers concepts; qui n'a pas su  tirer enseignement des limitations internes de la raison, ainsi circonscrite à des opérations symboliques aporétiques.

 

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(1) G.W. Leibniz - La Monadologie - Edition Aubier Montaigne - Traduction Lucy Prenant - 1972

Il faut relire les paragraphes 8, 9, 12, 13 et nos commentaires dans Penser au-delà des mathématiques aux pages 155, 162 et 163 

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