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La sémantique 

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Tarski publie sa théorie sémantique de la vérité en 1933 afin d'apporter une solution aux paradoxes sémantiques, Pseudomenon de Diogène Laërce ou paradoxe du menteur d'Epiménide en tenant compte du théorème d'incomplétude qui met en évidence le besoin d'un métalangage.

 

Son expression logique inédite de la vérité va susciter un foisonnement de réactions qui attestent de la portée de sa contribution à l'évolution de la logique contemporaine.

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La définition sémantique de la vérité ou la fin de la logique

EXPOSE

Sa formule cherche à éviter ces paradoxes qui manifestent la contradiction des systèmes auto-référents puisqu'un langage ne peut se clore sur lui-même. Dès lors qu'un langage ne peut contenir un prédicat adéquat de vérité pour lui-même, la définition de la vérité n'est pas définissable en son sein; d'où l'absolue nécessité de la définir dans un métalangage. Deux conditions de vérités attestent de cette extériorité.

 

Une première est nécessaire lors de la constitution du langage. Ses propositions sont vraies du fait de leur adéquation matérielle, cette correspondance ou équivalence du langage à des objets qu'il décrit. Cette première condition prolonge l'ancienne formulation d'Aristote dans sa Métaphysique :

" Dire de l'Etre qu'il n'est pas, ou du Non-Etre qu'il est, c'est le faux; dire de l'Etre qu'il est et du Non-Etre qu'il n'est pas, c'est le vrai, de sorte que celui qui dit d'un être qu'il est qu'il n'est pas, dira ce qui est vrai ou ce qui est faux."

Cette condition permet de constituer un langage fait de propositions éprouvées par l'exercice de correspondance qui se réalise en dehors du langage par une succession de conventions qui attestent d'un accord quant aux relations des mots aux objets qu'ils décrivent.

 

Une seconde condition est nécessaire lors de l'exposé de ce langage. Ses propositions sont vraies du fait de leur adéquation formelle, cette cohérence de l'énoncé qui établit sa validité logique. Ce second usage réalise une opération de vérification qui manifeste la conformité de l'énoncé aux opérations dans ce langage. Les termes s'exposent sans contradiction formelle. Le langage y devient l'objet.

 

Ces deux conditions se concrétisent dans un exercice de double lecture qui s'effectue par un passage de la proposition lue pour ce qu'elle décrit à la proposition prise pour un énoncé, soit un objet qui a sa réalité propre. C'est pourquoi la proposition est d'abord vraie pour ce qu'elle décrit; et l'énoncé qu'elle devient dans la seconde lecture est vrai pour ce qu'il dit, soit sa cohérence.

 

EXAMEN

Une première discussion s'intéresse à la portée de la définition : vérité absolue ou vérité relative. Cette controverse résulte de son interprétation.

 

Ce malentendu dépend de ces perceptions, soit de la lecture même de l'énoncé d'A. Tarski. Quelques-uns y voient l'apologie du réalisme, cas de K. Popper, d'autres y voient une issue aux impasses des théories syntaxiques, cas de R. Carnap, et quelques autres dont D. Davidson y perçoivent une ouverture vers les contextes inducteurs d'équivocité du langage. Cette dernière est de fait présente dans la pluralité des commentaires de la définition sémantique de la vérité.

 

Pour celui qui y voit une définition absolue de la vérité, la mise en correspondance est la condition première à l'émergence de propositions dans un langage. Quand bien même la correspondance ne s'applique pas à l'ensemble des propositions d'un langage qui peut ordonner, agir, questionner sans toujours décrire; l'absence de correspondance pour la totalité des propositions suffit-elle à congédier cette condition d'inspiration aristotélicienne ? Elle n'est pas suffisante pour ces réalistes, elle l'est pour d'autres.

 

Pour ce qui est de la vérité relative, la définition pose uniquement une opération logique de vérification qui garantit la cohérence parce que la proposition s'exécute conformément à l'ensemble des règles syntaxiques relatives à ce langage. La vérité y est formelle.

 

Mais cette controverse a-t-elle lieu d'être et peut-on exiger d'A. Tarski que sa définition soit, contradictoirement au principe d'incomplétude, complète, consistante et cohérente ? La définition peut-elle avoir ce caractère axiomatique en se suffisant à elle-même, proposition décrivant la vérité ? Ou, au contraire, cette définition n'est-elle pas incomplète pour induire des ouvertures en-deçà et au-delà du langage-objet qu'elle est ? Alors, la formule d'A. Tarski associerait des définitions réputées contradictoires pour parvenir à un autre résultat.

 

La seconde discussion porte alors sur la lecture qu'il convient d'en faire. La définition ouvre une controverse de ses commentateurs alors qu'elle réussit  à réconcilier des théories réputées contradictoires. En effet, cette définition opératoire de la vérité rassemble une exigence syntaxique de la fonction de vérité en décrivant sa variabilité sémantique relative au système de propositions du langage considéré. Elle est en cela inédite, puisqu'elle échappe à la tradition philosophique où la réponse à la question "qu'est-ce que la vérité ?" conduit à une définition substantialiste.

 

Sa définition compose entre une substance inexprimée qui tient à la manière de légitimer la proposition prise comme la représentation adéquate matériellement d'une réalité qui lui est extérieure; et une introduction du principe de raison au titre de l'identité de l'objet propositionnel avec lui-même. L'ambivalence est présente dans la proposition. Il convient alors de savoir si cette définition est "neutre", soit insensible aux théories des commentateurs qui s'opposent plus qu'ils ne lisent.

 

La neutralité tient-elle alors au caractère formel de la définition ou à la nécessité d'une autre lecture qui intègre l'équivocité ? La lecture ne saurait être univoque puisqu'elle conduirait aux controverses horizontales qui opposent des positions exprimées par les lecteurs, en vertu de leur point de vue initial.

L'art d'A. Tarski tiendrait à la formulation d'une définition édifiée selon une exigence didactique, initiatique, voire anagogique, selon ses propres mots :

" Aussi pouvons-nous accepter la conception sémantique de la vérité sans abandonner quelque position épistémologique que nous puissions avoir. Nous pouvons demeurer réalistes naïfs, réalistes critiques ou idéalistes, empiristes ou métaphysiciens - ce que nus étions auparavant. La conception sémantique est complètement neutre par rapport à toutes ces positions." (1)

 

L'auteur renvoie donc au lecteur qui construit sa vérité antérieurement à la lecture de cette définition qui opère sans modifier ce cadre de pensée préalable qui appartient à chacun. Cette définition est donc construite, aux dires de son auteur, de telle sorte que chacun perçoit cet objet selon son point de vue.

 

D'ailleurs, un de ces lecteurs avertis, et non des moindres, K. Popper, n'est pas dupe de cette relation très équivoque que l'auteur et les lecteurs entretiennent autour de cette formulation :

" J'étais fort intéressé par ce qui m'apparaissait comme un aspect réaliste de la théorie de la vérité de Tarski, un aspect dont je suspecte que Tarski peut dénier la simple existence." (2)

 

Une telle performance polysémique de cette formule enseigne un art de l'équivocité entretenue intentionnellement pour qu'elle autorise autre chose, une confrontation à cette situation de coexistence des interprétations, contradictoire avec l'univocité logique.

 

ENSEIGNEMENTS

Trois enseignements majeurs sont à tirer de cette controverse à propos de la définition sémantique de la vérité d'A. Tarski.

1. L'incohérence de la quête de l'univocité
2. La pluralité des conditions singulières de vérité
3. L'anagogie inhérente à l'incomplétude

 

1. L'incohérence de la quête de l'univocité

L'univocité est contradictoire avec l'incomplétude puisqu'elle perpétue l'exigence d'un énoncé complet qui exclut des interprétations afin d'induire cette signification unique, donc complète et autonome; ce qui n'est pas envisageable dès lors que l'incomplétude est dûment constatée.

L'univocité d'un signe, d'une opération ou d'une proposition, voire d'un langage revient à en exiger la cohérence de soi, soit la négation de l'influence d'autres signes, opérations, propositions ou langages, ce qui revient à nier les interactions génératrices des significations dans un langage.

Cette quête de l'univocité poursuit une fin inaccessible et repousse indéfiniment devant elle le fait de l'équivocité qui est une manifestation de l'incomplétude dans les paradoxes sémantiques, soit la non-évidence de soi d'un langage-objet.

 

2. La pluralité des conditions singulières de vérité

Le conflit des interprétations traduit certes l'incompatibilité des positions initiales des lecteurs. Ces derniers réduisent la définition à leur cadre théorique préalable. L'auteur tient compte de cette exigence d'une univocité - cohérence et complétude - unanimement partagée par ces lecteurs indépendamment du contenu de signification qu'ils mettent chacun dans leur quête d'univocité. Mais ne tient-il pas compte de l'enseignement de l'incomplétude qui invite à la transgression du projet systémique d'un langage-objet clos et vrai ?

Les travaux de D. Davidson ou de J.L. Austin explicitent cette pluralité des conditions de vérité qui satisfont chacun selon sa singularité. Les trois catégories de D. Davidson : constitutive, formelle et empirique induisent une théorie de l'interprétation; comme les conditions descriptive et démonstrative de J.L. Austin indiquent les mondes possibles. 

C'est pourquoi, A. Tarski met fin à la logique comprise comme poursuite de l'univocité, parce que le projet logique ne peut faire fi de la dimension génétique de la langue et de la conception générative de la signification.

 

3. L'anagogie inhérente à l'incomplétude

La définition sémantique est donc ouverte à l'altérité d'un métalangage antérieur et postérieur au langage-objet. La formule a de ce fait un premier sens anagogique au-delà de l'objet propositionnel et de la relation qui s'établit avec le lecteur. La vérité opère en-deçà et au-delà du langage-objet, par nécessité logique. Elle s'exécute selon des opérations de vérification qui découlent d'autres relations au monde que celle du langage.

L'anagogie sort de l'enfermement dans un langage-objet. Elle procède selon une didactique initiatique révélatrice de l'équivocité. Elle manifeste là deux conséquences.

 

La première tient à la relativité des expressions singulières des conditions de vérité qui constituent, en soi, l'exposition de l'équivocité dont aucune ne se démontre dans le langage lui-même. La position de chacun, selon ses conditions de vérité dans sa théorie, précède, accompagne et prolonge. En cela la définition peut sembler neutre. Il serait vain de penser que le réalisme se démontre dans le langage alors qu'il postule une foi antérieure et première dans une relation au monde qui précède l'exposé du langage.

 

La seconde tient à la transmutation des termes sémantiques d'un langage-objet

en opérations syntaxiques du métalangage. Dès lors que la vérité, prise comme opération syntaxique ou description sémantique doit opérer sur un langage-objet, en dehors de lui, pour échapper aux paradoxes sémantiques; alors, la dissociation de la fonction sémantique et de la fonction syntaxique de la vérité appartient à une opération dynamique qui effectue un croisement des fonctions dans les langages et métalangages.

 

Mais une telle opération manifeste alors une dialectique qui dépasse la croyance de chacun des lecteurs. L'anagogie n'a pas encore livré son secret.

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(1) A. Tarski in

La conception sémantique de la vérité et la fondation de la sémantique (1944)

 

(2) K. Popper in

La connaissance objective (1972)

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